Lawrence de Picardie épisode 4

Publié le par BoArts

Lawrence de Picardie, épisode 4 : du Nouveau Monde à Cathay

 

Résumé des épisodes précédents : Lawrence de Picardie, le célèbre guérillero indépendantiste picard, a été libéré de la prison d’Etat de Watigny. Ségolin Mérovée, le Fromage de Tête de la République franque, lui a promis d’accorder la liberté à son peuple s’il parvient à déjouer les plans de domination mondiale de Jeff Ping, le tyrannique Empereur de Cathay.

Au début de cet épisode, Lawrence et son écuyer Michel viennent d’arriver à La Grosse Pomme à bord d’un pigeon mécanique géant. Leur but : convaincre l’Assemblée générale de l’ONU de les aider à vaincre Jeff Ping…

 

5

 

La salle de réunion hémicyclique de l’AGNU bourdonnait des susurrations parfumées des diplomates et des vibrations de leurs téléphones portables en mode veille de nuit. Fait curieux, la plupart avaient l’accent kébécois. En effet, au cours du vingt-et-unième siècle, tous les pays du monde avaient fini par perdre confiance en l’efficacité des forumes internationaux et par s’en remettre à la Realpolitik – tous, sauf le Khanada, qui, seul confiant dans un avenir de paix, de prospérité et de respect des droits sacrés de la personne humaine, continuait d’envoyer ses représentants dans les instances onusiennes.

Tout en leur expliquant ce qui vient d’être dit, Patrick introduisit Lawrence et Michel dans un petit balcon qui protubérait sur le mur sud de l’enceinte parlementaire internationale, et d’où ils purent assister à la séance sous-décrite en mangeant du pop-corn.

La nouvelle secrétaire générale de l’Organisation, une célèbre femme-tronc montréalaise prénommé Lucienne-Pauline, jaillit d’une grosse boîte en carton placée au centre de l’hémicycle, se balançant au bout d’un ressort métallique rigolo en riant comme une otarie. Cette entrée en matière laissa les Khanadiens de marbre, car en Amérique il est interdit de se moquer des fous et des handicapés. Lorsqu’elle fut calmée, Lucienne-Pauline sortit un papier de la poche de sa veste, et se mit à lire d’une voix solennelle : « Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, la situation des droits fondamentaux des personnes humaines est désastreuse en Extrême-Orient. Il nous faut agir, et agir vite. Je suggère de « faire un exemple » dans la région en châtiant le régime totalitaire de Jeff Ping. Vous êtes partants ?

- Ouais ! approuvèrent en chœur les quatre cents cinquante Khanadiens en levant le bras droit de façon assez ambiguë.

- Bien ! Mon plan d’action est le suivant : nous allons enfermer Cathay dans une gigantesque cage en forme d’Empire du Milieu. L’enfermement durera aussi longtemps que le Parti Communiste local empiétera sur les droits des Lamaïens et refusera le multipartisme.

- Ouais ! réapprouvèrent les diplomates.

- Un problème technique, cependant, se pose à l’Organisation… fit observer la secrétaire en repliant sa feuille de discours et en la réinsérant dans sa poche. Comment déplacer une cage aussi énorme ?

- Je sais ! intervint Lawrence en se levant de son strapontin, du pop-corn plein la veste. Mon ami Clément Ader Wright a mis au point un oiseau mécanique capable de porter des charges très lourdes dans les airs, notamment des tracteurs et des moissonneuses batteuses. Je ne doute pas qu’une escadrille entière de ces engins ne soit capable de transporter la cage dont vous parlez jusqu’en Asie. »

L’aristocrate eut droit à un tonnerre d’applaudissements ; dans la foulée, l’Assemblée générale lui décerna le Prix Nobel de la Paix et le chargea de guider les aéronefs porteurs de la cage jusqu’en Asie.

Plus tard, alors qu’il s’éloignait de La Grosse Pomme au bord d’un bus Gros-chien-gris pour assister à la fabrication de la cage géante, Lawrence se mit à réfléchir aux moyens de venir à bout d’une armée d’immortels. 



 

6

 

Les premiers coureurs s’étaient mis en place le long de la ligne Mogolie-Iunnan, et un Garde Rouge leur déposait à chacun sur la langue une goutte du précieux sang du Christ. À chaque heure, d’autres Cathayens arrivaient de toutes les provinces de l’Empire ; d’ici quelques semaines, le plan de Jeff Ping serait mis à exécution.

Ce dernier se tenait sur un trône d’or porté par quatre esclaves nord-koryoïtes, et inspectait les préparatifs, saluant de temps à autre ses sujets d’un hochement de tête paternaliste. Un sourire irrégulier, signe d’une mégalomanie en phase terminale, s’étirait d’un bout à l’autre de son visage impérieux, et il se frottait les mains d’un air impatient, les plongeant de temps à autre dans un paquet de chips Vico inséré à son palanquin.

« Maître ! s’écria soudain Chang, qui le suivait au pas de course avec un parasol. Maître ! Regardez ! »

L’aficionado pointait un doigt tremblant sur le ciel, où se tramait quelque chose de pas normal. Trente-six colombes mécaniques, réparties en deux escadrilles et frappées du drapeau des Nations Unies, avançaient dans le ciel, un gigantesque dôme-prison agrippé entre leurs serres d’aluminium.

« Diantre… murmura le despote tandis que les ombres parallèles des barreaux de la cage s’étiraient sur les plaines de son Empire. Les Occidentaux ont du se rendre compte que nous tramions quelque chose. »

Les oiseaux artificiels se rapprochèrent doucement du sol, et les rebords de la cage se posèrent avec fracas sur le tracé exact des frontières cathayennes. L’État voyou était coupé du reste du monde.

« Ils ne font que retarder l’inévitable ! gronda Jeff Ping. Donnez l’ordre aux Gardes Rouges de poursuivre la mobilisation générale. 

- Ce sera fait, Excellence. » consentit le haut fonctionnaire, qui partit briefer les militaires.

Ping jeta un regard panoramique au paysage environnant. Le piège s’était refermé autour de l’Empire du Milieu, et ses sujets semblaient déconcertés.

C’est alors qu’une voix féminine retentit dans le ciel : « Cathayens, Cathayennes ! Ici Lucienne-Pauline, secrétaire générale de l’Organisation des Nations Unies. Au nom des pouvoirs qui me sont conférés, je décrète la mise hors-la-loi et la réclusion de l’Empire de Cathay. Nous enlèverons la cage dès que vous vous serez conformé au modèle libéral proposé par les nations civilisées. Bonne chance. »

Un remous se fit sentir dans la foule des mobilisés ; Ping grinça les dents. « N’écoutez pas cette propagande impérialiste ! rugit-il. Chang !

- Oui, maître ? fit le fonctionnaire, qui était retourné auprès de son employeur.

- Envoyez l’Armée Rouge limer les barreaux de cette stupide cage, gronda l’Empereur. Ah ! Oui, et massacrez quelques Lamaïens, filmez la scène et envoyez ça à La Grosse Pomme. Il faut montrer au monde que jamais Cathay ne cèdera au chantage.

- Vos désirs sont des ordres, Votre Majesté. » approuva le bureaucrate.


 


***

 

Au même moment, Lawrence et Michel se posaient en douceur sur le sol rocailleux du Xinjiang, l’une des provinces orientales de l’Empire du Milieu. Les deux aventuriers avaient opéré la descente à bord de leurs véhicules, que les fonctionnaires des Nations Unies avaient attaché au bas des barreaux de la cage avec du sirop d’érable séché.

Après les en avoir dégagé à coups de canif, Lawrence et Michel s’assirent aux commandes de leurs engins agricoles et s’engagèrent sur une route mal entretenue, qui sinuait péniblement à travers les collines semi-désertiques de la région. Fort heureusement, leurs machines étaient dotées de pneus à toute épreuve, et ils atteignirent bientôt les abords d’un petit village de paysans collectivistes.

« Drôle d’endroit. » commenta Michel alors qu’ils se garaient au milieu du cercle d’habitations. Ces dernières consistaient en des champignons géants à l’aspect comique, et dans lesquels avaient été creusées pièces, portes et fenêtres. Quant à leurs propriétaires, ils se trouvaient à quelques dizaines de mètres du village, et travaillaient à l’entretien de petites parcelles de fruits et légumes. De façon assez surprenante, tous étaient de sexe masculin et portaient un petit bonnet blanc rigolo, à l’exception d’un petit barbu qui portait la coiffe rouge des cadres du Parti Communiste.

« Restons discrets. » chuchota Lawrence, qui s’était accroupi derrière un buisson de ronces. Au même instant, Michel fit craquer une branche sous son pied, attirant sur lui l’attention des maraîchers. L’homme au bonnet rouge lâcha quelques ordres brefs, et les kolkhoziens se rassemblèrent en ordre de bataille, empoignant leurs bêches et leurs pelles.

« Cours te réfugier ! » ordonna Lawrence à Michel en tirant la Tambutcheuse. Il s’avança d’un air de défi vers les villageois, tandis que son écuyer courait vers les véhicules. Mais ceux-ci étaient en cours de confiscation par un autre groupe de Cathayens, menés par un intellectuel maoïste à grosses lunettes.

« Le commissaire au peuple a dit, il ne faut pas laisser les étrangers fouler les terres de notre Empereur. » énonça l’intellectuel sur un ton mécanique. Derrière lui, les paysans se mirent à agiter des fourches et des rouleaux à pâtisserie. Les Picards étaient pris entre deux feux.

« Nous sommes perdus… se lamenta Michel en reculant lentement.

- Pas encore ! » s’exclama un homme qui se tenait debout sur un champignon.

Nos héros tournèrent la tête vers le nouvel intervenant. Il s’agissait d’un Maure au maintien digne, revêtu d’une djellaba blanche et auquel un léger contre-jour conférait un aspect général quasi-prophétique. L’inconnu dégaina un sabre damasquiné et enchaîna une série de roulades qui l’amenèrent juste derrière une jeune villageoise, apparemment la seule femme de la communauté. Plusieurs décennies de politique de l’enfant unique avaient encouragé de nombreux couples cathayens, conscients des privilèges accordés aux garçons, à se débarrasser de leurs rejetons de sexe féminin. Phénomène sociologique, qui, poursuivi sur plusieurs générations, expliquait le fait que dans de nombreux villages de l’Empire, il n’y avait souvent qu’une seule femelle reproductrice.

« Si vous tenez à sa vie, lâchez vos armes et rentrez dans vos champignons. » avertit le Maure en plaçant sa lame contre la gorge de la paysanne.

Il y eut un remous dans la foule, puis les Asiatiques lâchèrent leurs armes et se mirent à reculer lentement. La désobéissance aux commandements de l’Empereur leur paraissait un fardeau moins lourd à porter que la renonciation à leur vie sexuelle.

« Bien… approuva le Maure. C’est ça, déguerpissez. »

Les Cathayens obtempérèrent, et bientôt les trois étrangers se retrouvèrent seuls sur la place du village.

« À qui ai-je l’honneur ? demanda Lawrence en rengainant sa rapière.

- Mon nom est Othmane Chanaoui, répondit ce dernier. Et vous devez être Lawrence de Picardie.

- Comment m’avez-vous reconnu ? s’étonna l’aristocrate.

- Votre nom est synonyme d’héroïsme et de sagesse dans tout le monde mahométan, expliqua le djihadiste. Le pays d’où je viens, le Royaume de Berbèrie, a par le passé beaucoup souffert de l’occupation franque. Le combat que nous avons autrefois mené pour notre liberté, c’est vous qui le menez actuellement pour votre peuple.

- Et qu’est-ce qui vous amène dans les contrées lointaines de Cathay ? s’enquit encore le séparatiste.

- La même chose que vous, répondit le Sarrasin. J’ai un vieux compte à régler avec l’Empereur Jeff Ping. C’est moi qui aie volé le Graal pour le lui donner ; malheureusement, il a refusé de payer l’organisation islamiste qui m’avait chargé de cette besogne. Je viens d’en être radié, et je ne pourrais retrouver mon honneur de martyr qu’en tuant Jeff Ping de mes propres mains. J’ai garé mon chameau de location pas loin d’ici, laissez-moi le temps de le chercher et je vous propose de vous accompagner dans votre quête.

- Les ennemis de mes ennemis sont mes amis, fit Lawrence en serrant chaleureusement la main d’Othmane.

- Rien n’est impossible au soldat de Dieu. » rétorqua ce dernier en souriant.

Les deux hommes se jaugèrent l’un l’autre, et en tirèrent tout deux une impression positive. Cinq minutes plus tard, ils reprenaient de concert leur route sur les chemins du Xinjiang.

 

Lawrence, Michel et Othmane arriveront-ils sains et saufs à la Cité Interdite ? parviendront-ils à anéantir l’armée de l’Empereur ? Reverront-ils un jour leurs terres natales ? C’est ce que nous verrons dans le prochain épisode de notre grande saga rurale, Lawrence de Picardie.

Publié dans Lawrence de Picardie

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